Panser la migraine des enfants

Panser la migraine des enfants

Article de Sandrine Cabut parut dans « Le Monde » du mercredi 29 janvier. Publié avec l’aimable autorisation du Monde

Ce trouble touche de 5% à 10% des petits patients. Pour les soigner, au Centre de la migraine de l’enfant et de l’adolescent, à Paris, les consultations peuvent durer une heure et demie.

Depuis la rentrée scolaire, c’est infernal, j’ai entre trois et dix migraines par mois, et des céphalées de tension presque tous les jours. En fait, il n’y a que deux ou trois jours par mois où je n’ai pas mal à la tête», détaille Juliette (son prénoma été changé), 15 ans. Suivie de longue date au Centre de la migraine de l’enfant et de l’adolescent, à l’hôpital Trousseau (Paris), la jeune fille a appris à distinguer ses différents types de céphalées. Comme la plupart des enfants migraineux, elle souffre à la fois de migraines, des «gros maux de tête» qui évoluent par crises et obligent en général à arrêter toute activité ; et de céphalées de tension, des «petits maux de tête» moins invalidants et qui passent sans médicament.

Pour comprendre les causes de cette recrudescence des crises chez sa patiente, Daniel Annequin, responsable de ce centre de référence, fait redérouler à Juliette le fil de sa vie depuis la dernière consultation, il y a deux ans. Il la questionne sur l’ambiance au lycée, le climat familial, les facteurs déclenchants des maux de tête, leurs conséquences en termes d’absentéisme scolaire…

Au Centre de la migraine de l’enfant, structure unique en son genre en France, créé en 2002 par des spécialistes de la douleur en pédiatrie, les professionnels disposent d’un atout essentiel : le temps. La consultation peut durer jusqu’à une heure et demie, permettant aux médecins d’explorer à fond l’histoire médicale et les symptômes de leurs petits patients, mais aussi le contexte psychosocial, une dimension «souvent négligée mais fondamentale», insistent les membres de l’équipe.

Les facteurs déclenchants de ses crises, Juliette les a bien identifiés: le stress des contrôles scolaires, mais aussi la fatigue, un environnement bruyant, des soucis familiaux. Ses réponses sont précises, mais Daniel Annequin ne s’en contente pas. «Quel type de fatigue: un excès de sport, un manque de sommeil, ou une fatigue psychologique?», s’enquiert le spécialiste. En 2013, en troisième, la jeune fille a souvent manqué les cours. Jusqu’à douze demi-journées par trimestre, évalue-t-elle en consultant son «carnet de bord» des migraines. Un absentéisme qui ne l’empêche pas d’être une élève brillante. «C’est souvent le cas chez les enfants migraineux, ils ont une grande maturité et ont du mal à être en phase avec les enfants de leur âge. Leur cerveau fonctionne à 300 à l’heure, mais ils s’ennuient, cela peut devenir une spirale infernale», décrypte Daniel Annequin.

Le médecin, anesthésiste et psychiatre de formation, parle d’expérience. En une dizaine d’années d’existence, le Centre de la migraine de l’enfant a accueilli plus de 8000 jeunes patients. Une expertise dont l’équipe rend compte dans un livre qui vient de paraître : Migraine, céphalées de l’enfant et de l’adolescent (sous la direction de Daniel Annequin, Barbara Tourniaire et Rémy Amouroux, éditions Springer, 228 p., 50€). L’ouvrage est surtout destiné aux professionnels, mais reste accessible à un public motivé. L’équipe a aussi développé un livret sur le sujet et un site Web (www.migraine-enfant.org), avec des outils pédagogiques pour les familles et les médecins.

Comme chez l’adulte, les migraines sont une pathologie fréquente en pédiatrie, de 5% à 10% des enfants sont concernés. Mais elles restent méconnues, par les parents, les médecins et de façon générale par les professionnels de santé. En consultation avec un autre petit patient, âgé de 7 ans, Daniel Annequin s’agace ainsi que l’ibuprofène – un antiinflammatoire– qu’il avait prescrit n’ait pas été délivré par le pharmacien. «Il m’a dit que c’était trop fort, qu’il fallait continuer avec le paracétamol», justifie la mère de l’enfant. «Voilà, c’est typique », grimace Daniel Annequin, en rappelant que l’ibuprofène est pourtant le traitement de première intention des crises de migraine chez l’enfant.

La méconnaissance de cette pathologie vient en partie de symptômes différents de ceux de l’adulte. La durée de la crise peut être plus courte (deux heures versus quatre chez l’adulte). La céphalée est le plus souvent bilatérale, alors qu’elle siège en général d’un seul côté du crâne chez l’adulte. De plus, les symptômes peuvent être trompeurs, surtout quand il n’y a pas du tout de maux de tête associés. Dans l’enfance, les migraines peuvent ainsi se manifester par des épisodes de vomissements, de douleurs abdominales, ou encore de vertiges.

En théorie, un interrogatoire complet et orienté permet de poser le diagnostic sans aucun examen complémentaire. En pratique, beaucoup des enfants qui arrivent au Centre de Trousseau ont eu une imagerie cérébrale pour éliminer une pathologie grave, en particulier une tumeur. «La moitié de nos patients arrivent avec un scanner sous le bras, estime le docteur Barbara Tourniaire, pédiatre de formation. Mais depuis dix ans, il y a eu des progrès, les médecins évoquent davantage le diagnostic de migraine chez un enfant. Quant aux parents, ils sont plus ouverts pour parler de prise en charge psychologique, d’hypnose.»

De fait, c’est presque exclusivement sur de telles méthodes, non pharmacologiques, que repose le traitement de fond des migraines de l’enfant quand il est nécessaire. Une différence de plus avec les migraines de l’adulte où les traitements au long cours consistent le plus souvent en des médicaments.

Relaxation, hypnose, biofeedback… Plusieurs techniques ont démontré leur efficacité, dont certaines sont réalisées sur place, en petits groupes ou en individuel, parles trois psychologues de l’équipe. Le centre pratique par exemple la «relaxation thérapeutique de Bergès». «Pour l’enfant, c’est un espace de découverte de son corps, autrement que par la douleur», précise Florence Reiter, l’une des psychologues. Une autre méthode de groupe combine verbalisation, dessins et temps de relaxation. «Les séances ont pour but de faire émerger l’idée que la migraine est déclenchée par des facteurs extérieurs, mais qu’il existe aussi des facteurs internes. Les patients apprennent à les identifier, pour mieux les contrôler», poursuit la psychologue. Proposés à tout âge, les dessins permettent d’illustrer la douleur, ses facteurs déclenchants, et aussi ce qui la calme. Pour son «image de calme», un enfant a dessiné la main de sa mère sur son front. Un autre a écrit en lettres capitales énormes: DORMIR.

Article de Sandrine Cabut parut dans « Le Monde » du mercredi 29 janvier. Publié avec l’aimable autorisation du Monde.

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